Dans la clairière paisible où j’affûte avec mes camarades de jeu, je me sens bien. Nous sommes début mars dans la forêt de Bialowieza, mais cet après-midi sent déjà le printemps. Le thermomètre du 4×4 qui nous a amené indiquait 19 degrés, alors qu’à cette date les températures sont généralement négatives et le sol couvert de neige. C’était le cas il y a encore deux semaines, mais le redoux est survenu.
Cernée de sapins, la clairière a un petit air alpestre, même si le paysage est plat de chez plat dans la région. Une foule d’animaux peut sortir de la forêt, mais celui que nous guettons prioritairement est le loup, la bête sauvage par excellence, celle que l’on adore ou que l’on abhorre, celle qui fascine ou qui angoisse, celle qui nous attire ou qui nous terrifie, celle qui nous ressemble tant. Venir dans l’est de la Pologne permet de multiplier les chances d’une rencontre car le loup n’y est pas chassé. Il reste certes redoutablement prudent, mais il peut vivre sa vie de loup à peu près normalement malgré la présence humaine. On se demande pourquoi il ne peut pas en être autant ailleurs, mais passons sur ce débat…
Nous le guettons depuis quelques jours sans le voir, mais les pièges-photos placés par Adam, le guide local qui connaît la forêt comme sa poche, prouvent sa présence. D’autres indices moins technologiques trahissent également ses allées et venues : empreintes et autres crottes laissées le long des chemins. Ironiquement, les loups se déplacent presque exclusivement sur les voies tracées par les humains.
Les heures passent. Au loin, à un moment donné, des têtes de biches émergent au-dessus des herbes. Plus tard, une autre sorte de bête montre soudainement sa silhouette. L’excitation ne durera que le temps de pointer les jumelles : ce n’est qu’un promeneur. Zut ! C’est presque une surprise, car le marcheur est presque aussi rare que le loup dans l’immense forêt interdite à la circulation automobile (sauf aux garde-frontières, au personnel du parc et à quelques guides comme Adam). On croise en revanche des cyclistes sur les chemins.
Confortablement installés sous les sapins, la lumière décline peu à peu, annonçant l’heure du retour à la maison d’hôtes. Le ciel rougit de pleins feux.

Moi qui ne prends pas de photo de paysage, je déclenche malgré tout pour conserver un souvenir du moment. Il fera bientôt trop sombre pour prendre une photo. Rentrer bredouille, c’est le principe de l’affût. Si l’attente ne débouche pas sur la rencontre espérée, personne ne songera à évoquer du temps perdu. Si ça ne marche pas aujourd’hui, ça marchera demain ou le jour d’après. L’espérance nous porte.
La suite de cette histoire tient du conte de fée. Personne n’est obligé de me croire, mais voici comment elle s’est déroulée selon moi.
L’heure du rendez-vous avec Adam qui doit venir nous rechercher avec la Land Rover est imminent. C’est alors que Fabien, notre guide photographique français, nous « hurle » à voix basse « un loup, au fond ». Trois fois de suite car tellement surpris, les trois photographes amateurs que nous sommes ne réagissons pas tout de suite.

Au fond, un loup !
Le point blanc éloigné qui approche se distingue clairement à travers les jumelles et il bouge : c’est un loup pour sûr. La bête avance, puis s’arrête, semble scruter dans notre direction (ce qui nous fait craindre une fuite dans la forêt), mais reprend son cheminement sur la piste le long de la lisière jusqu’à une distance très proche pour un loup (60 mètres). À un moment donné, arrivant au croisement des chemins, le loup prend sur sa droite et disparaît de notre champ de vision. Nous pensons que la messe est dite et sommes déjà totalement enivrés par cette rencontre incroyable. Mais nous restons cois, sait-on jamais. C’est un autre principe de l’affût ; l’animal (ou un de ses congénères) peut réapparaître.
Et effectivement le loup revient pour emprunter en sens inverse la route qui passe devant notre affût en sens inverse. Il marche calmement, à peine à plus d’une cinquantaine de mètres. Il s’arrête deux fois en nous toisant de longues secondes. Nous a-t-il vraiment repéré ? Il reprend sans peur sa marche et disparaît cette fois pour de bon, nous laissant dans un état extatique. Quel moment jubilatoire.
PS. Dommage qu’il faille aller si loin pour vivre de telles expériences.

Premier arrêt pour le loup qui nous toise. On se sent alors tout petits.

Un dernier coup d’oeil derrière avant de disparaître dans la forêt.

Un autre loup rencontré un des soirs suivants en rentrant à la maison en 4×4. La voiture s’est arrêtée à une cinquantaine de mètres et monsieur a décidé de rester couché sur le chemin. L’échange de regard a duré de longue minutes avant qu’il ne s’en aille tranquillement. Le loup polonais est plutôt facétieux.
Le guide français: https://fabienbruggmannjura.com
Le guide polonais: https://www.instagram.com/wolf_trail_ab/