L’affût est un truc bizarre. Se cacher, déguisé des pieds à la tête, rester sans bouger des heures derrière son appareil photo en regardant la zone où l’animal, espère-t-on, va apparaître. Patienter, scruter de gauche à droite et de droite à gauche, ne pas faire de bruit, ne pas faire de geste brusque, se détendre très doucement les membres. Et scruter encore et encore, de gauche à droite et de droite à gauche.
Le plus souvent, il ne se passe rien, et les heures défilent plutôt lentement. Ou, plus précisément, il se passe plein de petites choses, comme un merle qui baratine dans le sous-bois en rompant le silence ou un pic qui cogne dans un arbre au-dessus de notre tête. Les bruits sont multiples, sans que l’on puisse en identifier la cause la plupart du temps. Ils annoncent rarement une rencontre car les mammifères font peu de bruit quand ils se déplacent.
Certains parlent d’expérience spirituelle et ils n’ont pas tort. L’immobilité est propice à la réflexion, à la contemplation. On pense à l’endroit où on aurait peut-être dû se mettre, à celui où on se mettra la prochaine fois, on se rappelle par flash des anciens affûts, quand le blaireau est sorti à l’opposé d’où on l’attendait ou quand les renardeaux ont joué pendant une heure juste devant soi. On pense aux évènements de notre vie courante, celle que l’on mène loin des bois, aux problèmes du boulot ou de famille, aux choses qu’il faut faire le lendemain. Ou alors notre esprit nous emmène sur des chemins parsemés de rêveries. Toutes ces pensées vont et viennent, de manière superficielle, l’esprit ne faisant que vagabonder car les sens demeurent concentrés sur l’affût. L’affût, c’est l’espérance de la rencontre. Aussi bien préparé que l’on peut être, la rencontre garde une part d’aléatoire et d’inattendu. Peu d’activité humaine s’en rapproche.
L’apparition provoque inévitablement un frisson dans l’échine, une montée d’adrénaline, même si on attend qu’elle depuis des heures. Alors le reste ne compte plus, toute notre énergie est focalisée sur l’animal qui est devant soi, même si c’est la centième fois qu’on le croise.

Le chevreuil vient de sortir du sous-bois. Moment extatique pour le photographe animalier.
Il arrive fréquemment que l’affût ne débouche sur aucune rencontre. Cela fait partie du jeu. On attend, vainement, une, deux ou trois heures. Le soir, c’est l’obscurité qui siffle la fin de l’exercice. Quand la lumière décline et que l’envie, voire le besoin, de voir un animal nous cheville au corps, l’imagination est alors fortement stimulée et le même arbuste planté à 20 mètres devant soi depuis deux ou trois heures prend tout à coup la forme d’un chevreuil ou d’un sanglier. Il est alors temps de ranger en silence son matériel et de repartir aussi discrètement qu’on est arrivé afin de ne pas déranger les habitants du coin. Il peut y avoir une pointe de frustration, mais jamais le sentiment d’avoir perdu son temps. Même sans rencontre, les quelques heures passées seul dans la nature sont une source de bien-être. Sur le chemin du retour, on échafaude déjà de nouveaux plans pour la prochaine fois. L’envie d’y retourner revient toute seule. L’affût est une quête éternelle. Surtout que la prochaine fois, il y aura une apparition, forcément, car l’espérance de la rencontre habite le photographe animalier.