Même avec la plus grande motivation du monde, il n’est pas toujours évident de se lever à 5h00 un matin de mai pour assister au lever du soleil en espérant croiser des animaux batifolant dans les champs. Le réveil sera un peu retardé ce matin et le départ à 6h30. Comme le ciel est un peu voilé, les regrets sont limités en me disant que la lumière sera bonne jusqu’à au moins 9h00. Sur mon vélo, je parcours les routes et chemins de campagne où les prairies sont fauchées et les premiers champs de céréales moissonnés. C’est là qu’il y a les plus de chance de surprendre un renard en train de muloter, c’est-à-dire chassant le campagnol : il marche lentement, en tentant de repérer le rongeur, puis s’arrête pour identifier l’endroit exact, s’aidant autant de ses oreilles que de ses yeux, et finit par bondir gueule en avant pour saisir le rongeur de ses crocs. Dans les champs fraichement coupés, les campagnols sont désorientés et cette technique a un taux de réussite élevé. Au lieu de croquer sa proie, il arrive que le renard mette de côté sa collecte pour ensuite amener à sa progéniture d’un coup plusieurs campagnols qu’il tient dans sa gueule.

Une belle brochette de campagnols pour les renardeaux affamés en ce début de soirée

L’avantage pour le photographe est que cette occupation demande une grande attention au renard qui ne remarque pas forcément l’humain en train de l’observer. Mais ce matin, pas de renard à l’horizon. J’aperçois un ou deux lièvres prenant le soleil, mais ils me voient aussi et je ne peux m’approcher. Observer les lièvres est déroutant. Parfois on peut s’approcher à une dizaine de mètres, parfois ils détalent quand on se trouve encore à presque 100 mètres. En général, c’est quand ils bouquinent qu’il est plus facile de les approcher. L’excitation les rend alors nettement moins farouches que lorsqu’ils sont seuls au milieu d’un champ. Ils sont deux individus, trois ou plus, et se courent les uns après les autres dans un jeu de rivalité ou de séduction. Ils s’approchent de nous, s’éloignent, reviennent, prennent la pose, se remettent à courir. Je me rappelle d’un dimanche matin où j’avais rempli ma carte photo tant la séance avait été longue.

Ça chahute dur parmi les lièvres ce dimanche matin

Les théories pleines de bons conseils sur la meilleure manière d’observer la faune pullulent sur internet. Elles sont dans la plupart des cas correctes, mais les contre-exemples sont fréquents sur le terrain. C’est le charme de la nature. A chaque rencontre sa vérité.

Peu de rencontres en fin de compte durant cette matinée. Pour me me rassurer, je m’arrête vers la gravière du motocross pour les guêpiers. De drôles d’oiseaux avec leur plumage multicolore exotique. Ils sont arrivés il y a quelques semaines et sont en train de nourrir leurs petits, traversant sans cesse le ciel à la recherche de gros insectes. Dans la gravière, j’ai mon poste d’affût de prédilection pour photographier les guêpiers en vol ou posés sur une branche, de préférence sans feuille. Ce matin-là, je ne m’attarde pas, j’avais envie de vérifier leur présence. J’irai aux guêpiers demain matin.

L’oiseau multicolore en vol

Avant de rentrer, je décide de faire un crochet du côté des Trois-Lacs pour observer les petites foulques macroules. Cette petite réserve naturelle compte trois étangs, d’où le nom un peu pompeux donné par les locaux. Le premier étang est envahi de roseaux. Le central, le plus grand, est le plus fréquenté par les oiseaux aquatiques. J’ai aperçu il y a un mois des petites foulques qui avaient déjà bien grandi et perdu leur aspect comique qu’elles revêtent lors de leurs premières semaines de vie.

Une drôle de bouille pour les petites foulques

En revanche, dans le troisième étang, de taille restreinte, un couple couvaient encore il y trois semaines et les petites foulques étaient encore tout mignonnes il y a peu. Ce matin, c’est peut-être la dernière occasion de les voir dans leur plumage enfantin. Je reste très étonné de l’écart de date entre les deux portées; peut-être qu’une première couvée a mal tourné et que le couple s’est remis à la tâche dans un second temps.

Foulques en famille

Je suis couché au bord de l’eau, presque immobile, les foulques adultes et jeunes batifolant dans l’eau à la recherche de nourriture. Je ne suis pas camouflé derrière un filet, les foulques macroules n’étant pas farouches. Ils passent à deux mètres de moi sans me regarder. Et puis un des parents se met à caqueter sans discontinuer et ce bruit finit presque par m’agacer. Je n’en comprends pas la raison, tout est si tranquille dans l’étang. C’est alors que mes yeux croisent le tête d’un renard en train de boire en diagonale de moi, à une dizaine de mètres. Le parent foulque l’avait tout de suite repéré et alertait ses petits du danger. Je réalise tout de suite de la dimension incroyable de la scène. Je décale mon objectif vers le renard doucement, en évitant les gestes brusques. Dans le stress, j’ai un peu de peine à cadrer et faire le focus, surtout que j’avais modifié les réglages de l’appareil juste auparavant pour varier les photos des foulques. Je sais que la scène ne va pas durer et que je suis à une distance où normalement le renard remarque rapidement la présence d’un humain. Quel dommage ce serait de rater une telle scène ! Heureusement, le renard ne me remarque pas et continue de boire quelques instants, assez pour que je réussisse quelques photos.

Le renard buvant sous haute surveillance

Au moment du départ en vadrouille, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Ce matin-là, il a suffi d’un dernier petit crochet pour que la virée matinale très ordinaire se transforme en moment de grâce.