Le voyage dans l’est de la Pologne était inscrit en haut de ma liste depuis longtemps avec la possibilité d’observer des loups, des lynx, des élans et des bisons. J’avais particulièrement envie de voir des bisons sauvages. Le bison a toujours fasciné l’amateur de western que je suis. Je sais bien que le bison américain n’est pas le bison européen, mais un bison reste un bison. En outre, le bison est très présent chez Robert Hainard, qui est un peu mon idole (voir la chouette). Ainsi, quand j’ai lu sa biographie («Robert Hainard. Chasseur au crayon», de Stéphan Carbonnaux), ce dialogue m’a marqué car il résume ma propre pensée :

« La Seconde Guerre mondiale vient d’éclater : Robert Hainard réfléchit au sort de la nature ou plutôt au sort de l’homme sans la nature. Il s’inquiète même beaucoup pour les derniers bisons d’Europe, réduits à une poignée depuis la Grande Guerre et qu’une société de protection cherche à sauver en Pologne. Une nouvelle fois, le front va passer sur ces bêtes.

  • Pas très chrétien, lui dit un pasteur.
  • Mais il y a deux milliards d’hommes et cent vingt bisons. »

85 ans plus tard, l’humain a proliféré et 8 milliards de personnes cohabitent tant bien que mal sur la Terre. Le bison avait failli disparaître au cours de la Première Guerre mondiale, quand la faim a poussé habitants et soldats à décimer les dernières bêtes peuplant la forêt ancestrale de Bialowieza – qui se situent aujourd’hui entre la Pologne et la Biélorussie- et qui représentait son dernier sanctuaire. Disparue alors à l’état sauvage, l’espèce a pu être sauvée à partir des quelques animaux qui étaient en captivité. La reconquête de la forêt de Bialowieza s’est faite progressivement. Actuellement environ 900 individus sont recensés. C’est mieux que rien mais il n’y a pas si longtemps le bison peuplait l’entier du continent européen quand il était recouvert de forêt. Étonnamment, malgré leur masse imposante et contrairement à l’attrait pour la prairie de leur cousins d’Amérique, c’est bien la forêt le lieu de vie du bison européen.

Au premier matin, réveil à 5h00 pour débuter la recherche du loup, objet de convoitise principal du séjour. A peine sortis du village de Bialowieza, nous tombons sur un troupeau d’une vingtaine de bisons paissant dans la prairie qui cerne tous les villages du coin, près de la lisière de la forêt. Le jour levant, la lumière bleutée, l’herbe givrée et la harde de bisons au loin forment une vision presque irréelle. La rencontre est magique. La harde adopte un comportement naturel avec les animaux serrés les uns contre les autres faisant face au danger potentiel. Nous pourrons les observer quelques minutes avant que le troupeau ne s’éclipse dans un galop impressionnant pour se réfugier dans la forêt. 

Fabien, notre guide français, nous dit qu’on a de la chance de voir un tel troupeau. Depuis trois semaines qu’il est là, c’est d’ailleurs la première fois. Effectivement, ce sera notre seule rencontre avec un troupeau de cette taille.

À peine une heure plus tard, alors que nous roulons sur les pistes forestières sablonneuses, nous tombons sur deux individus en pleine forêt à une quarantaine de mètres. Ils nous fixent quelques secondes et disparaissent. En forêt, les bisons sont plus craintifs, comme s’ils retrouvaient leurs réflexes séculaires.

Ces deux premières rencontres du dimanche matin prennent dans mon esprit la forme d’une célébration liturgique. Je peux dire que j’ai été comme transcendé par ces apparitions. Quelle belle église que la nature. Je ne suis pas sûr que le pasteur qui a échangé avec Hainard en 1940 approuve ces propos un peu sacrilèges. Mais peu m’importe si ma foi est plus proche de celle des chasseurs paléolithiques que des hommes civilisés.

Un peu plus tard dans la matinée, toujours en train de rouler à la recherche des loups, nous apercevons dans une prairie une poignée d’individus broutant à côté de maisons en bois. Ils ne prêtent pratiquement aucune attention à notre présence, comme le feraient des bovins domestiques. La séance photographique sera plus longue, avec du temps pour soigner le cadrage, mais la rencontre manquera singulièrement du charme sauvage des deux précédentes. Mais certaines poses sont néanmoins spectaculaires.

Le guide français: https://fabienbruggmannjura.com

Le guide polonais: https://www.instagram.com/wolf_trail_ab/